Le “Schloss”, c’est le surnom d’un château dont les malles regorgent de vieilles photos et de souvenirs, une grande bâtisse lorraine inchauffable occupée par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Les gens du coin appellent encore Sara Imloul et sa cousine “les petites-filles du château”. Sur ce royaume de courants d’air règne toujours aujourd’hui le grand-père, le patriarche, autour duquel la famille de Sara se réunit.
Das Schloss est donc une série introspective, un huis clos photographique : des séances de poses au développement des tirages, tout se passe là-bas. Tout commence dans la brume matinale alors que Sara attend son modèle, “madame jambes”, sa tante, à qui elle va faire tenir la pose pendant les longues secondes que nécessite la technique que l’artiste s’est imposée : la calotypie, ce procédé photographique inventé par Talbot. Je ne travaille qu’avec des gens que je connais parce que je sais qu’il est très difficile de poser. Et, en calotypie, tout est très lent. Parce qu’il y a une intimité, je me permets d’aller plus loin, ils me donnent plus, et la projection de mon imaginaire est plus facile avec ceux que j’aime. Avant cela, l’image a été pensée, rêvée. L’artiste a réalisé des esquisses préparatoires puis cherché les accessoires avec minutie. Ici, par exemple, elle a posé un tissu noir sur le haut du corps de sa tante pour qu’il disparaisse dans le décor. Devant sa chambre photographique (Toyo-View 4×5), rien n’est donc laissé au hasard.
Ouvrage presque épuisé !
Sara Imloul
Photographe
Sara Imloul, photographe plasticienne française née en 1986 et vivant à Paris, entame en 2008 sa première série Le Cirque Noir, en découvrant la calotypie.
(Procédé photographique datant du XIXe permettant d’obtenir un négatif papier, impliquant la reproduction des images par contact).
Elle développe dès lors dans son laboratoire des techniques personnelles lui permettant de mettre en image son univers mystérieux et onirique. Il s’en suivra Négatifs (2012), pièces uniques à la chambre 4×5 pouces où ici le contact a laissé place au négatif originel sur papier baryté. Elle expérimente également la vidéo et l’installation en 2013 avec T.R.E.S.E.D
en collaboration avec un performeur Nantais.
Puis commence une série plus introspective, auto-fictionnelle et plastique en introduisant le dessin et le collage sur ses négatifs avec un travail sur et avec sa propre famille dans Das Schloss en 2014 (livre éponyme paru aux Éditions Filigranes).
En 2019 sort Passages, de l’Ombre aux Images, une nouvelle série tissée comme une archéologie intérieure, un reliquaire photographique d’images mentales. Prix Levallois 2019
En 2020, À Quatres Mains une collaboration avec Nicolas Lefebvre, où les oeuvres du sculpteur à travers l’oeil de la photographe prennent une dimension intemporelle, archives ancestrales et sacrées.
Et Chez Moi, sortie fin 2021
Michel Gaillot
Auteur
Michel Gaillot est philosophe, critique d’art et professeur de philosophie à l’ESACM (École supérieure d’art de Clermont Métropole). Il est l’auteur notamment de Sens multiple – La techno, un laboratoire artistique et politique du présent (Éditions Dis Voir, Paris, 1998), de Le lieu en offrande (Villa du Parc, Annemasse, 2005), et de Nous, peuple des voix (Editions du Service des arts plastiques de la Ville des Vénissieux, 2002). Il prépare actuellement un essai sur la pensée du philosophe Jean-Luc Nancy et un livre sur la question de l’image.