“J’ai photographié des individus de dos face à la mer. On ne voit pas leurs visages ; on voit bien, en revanche, leurs vêtements, les détails de leurs tenues. On ne voit pas leurs yeux, mais on les devine rivés à l’horizon, absorbés par l’étendue marine qui les devance.
À Casablanca, entre la Grande Mosquée et le phare d’El-Hank, il y a un no man’s land qu’une rude barrière de ciment sépare de la mer. Ici, l’été comme l’hiver, les bedaouis – femmes, enfants, jeunes employés, couples, personnes âgées – viennent regarder l’océan. C’est ce que les gens d’ici appellent el bahr : «la mer» ou «la plage» (en arabe, les deux champs sémantiques se confondent). Drôle de plage, si différente de celles de la Corniche, plus loin, avec leurs piscines à ciel ouvert et leurs terrains de football improvisés ; si différente aussi des plages qui longent nos côtes, parsemées de transats et de parasols colorés. Ici, on ne vient pas pour se baigner ni pour bronzer au soleil, mais pour se retirer quelque temps dans un espace intime : celui du souvenir, de l’amour, de la peine, de l’espoir.”
Marco Barbon
Marco Barbon
Photographe
Marco Barbon est né en Italie et vit en France, entre Paris et Marseille.
Après un doctorat en Esthétique de la photographie à l’E.H.E.S.S à Paris, il entame une recherche artistique personnelle, dont émergent ses deux problématiques de prédilection : d’une part la temporalité, de l’autre cette zone frontalière entre la réalité et la fiction que le medium photographique, à la fois outil documentaire et dispositif fictionnel, est particulièrement apte à restituer.
Auteur des livres Asmara Dream (Filigranes, 2009 ; réédité en 2016), Cronotopie (Trans Photographic Press, 2010), Casablanca (Filigranes, 2011), Les pas perdus (Poursuite, 2014), Asmara (Be-Pôles, 2014) et El Bahr (Filigranes, 2016), ses photographies ont fait l’objet de plusieurs publications dans la presse internationale et sont régulièrement exposées en France et à l’étranger.
Denis de Casabianca
Auteur
Professeur de philosophie, Denis de Casabianca enseigne en CPGE à Marseille. Il poursuit des recherches sur Montesquieu et sur l’histoire des sciences, des arts et des idées politiques au XVIIIe siècle. Il s’efforce aussi de paresser par essais avec l’idée que pour voir autrement le monde dans lequel nous vivons et le transformer, il faut aussi mener des révolutions intérieures, et qu’en ce sens ce qui se joue au plus intime de nous-mêmes n’est pas sans rapport avec les changements sociaux qui affectent nos modes de vie ordinaires et l’état de notre terre. On trouvera des traces de ces réflexions dans Un petit manuel de l’apprenti paresseux, consultable sur le site : la-paresse.fr